
Introduction
La société l’Amicale de la Vallée de Joux, dont le rôle fut de rassembler et de motiver les malentendants, fut fondée en 1933. Son premier président, M. Louis Racine, devait la diriger avec succès pendant 27 ans, mis à part un court intermède où un président peu motivé devait remettre son tablier après quelques mois seulement.
En 1960 passage du flambeau à
M. Jean-Paul Guignard qui devait faire encore mieux que Louis Racine, puisqu’il resta à la présidence pendant 52 ans! Ce fut à nouveau un président remarquable tout dévoué à sa société, personnage par ailleurs bien connu à La Vallée pour ses connaissances majeures sur notre géologie régionale ainsi que sur une multitude de sujets où la géographie tient une large place.
L’Amicale se donna dès ses débuts pour tâche d’éditer un journal pour ses membres. Un nom, proposé parmi tant d’autres par les futurs abonnés, devait s’imposer: Que dit-on? La publication, en général bimestrielle, était éditée par la Feuille d’Avis de La Vallée. Elle devait connaître ses heures de gloire avec notre second président qui y publia une multitude d’articles du plus haut intérêt. Nous nous trouvons donc là, face à une mine de renseignements sur la Vallée de Joux à ne négliger sous aucun prétexte.
Le Que dit-on? sut durer autant que l’Amicale elle-même, puisque si celle-ci devait au final mettre la clé sous le paillasson, son journal devait l’accompagner jusqu’au bout, avec le dernier numéro, le 774, de mars-avril 2022. Depuis quelque temps on avait passé à la couleur avec une édition numérique.
Au hasard d’une compilation rapide et non exhaustive, nous sommes tombés sur un texte à redécouvrir. Nous voici, avec cette «Veillée», en plein dans l’ambiance d’autrefois, quand nos Combiers et Combières se délassaient encore, non avec la radio, non avec la TV ou internet, mais avec des histoires d’autrefois que l’on se racontait au coin du feu!
Patrimoine de la Vallée de Joux

Lorsque toute la campagne est sous la neige, lorsque par les soirs de lune le givre brode sa dentelle aux branches, aux buissons, aux poutres du toit, lorsque tout, au dehors, est merveilles et froidure et que tout, au-dedans est chaleur et intimité, le temps des longues veillées est venu.
Je ne sais pas aujourd’hui ce que sont les veillées au village, mais le souvenir de celles d’autrefois ne peut s’effacer.
Le soir est venu, on fermait la porte à double battant, laissant au dehors toute la magie des soirs d’hiver et, par les fenêtres dont on ne fermait jamais les volets, la lune se glissait, curieuse et blafarde, le vent d’engouffrait parfois dans la cheminée, faisant voltiger les cendres un peu partout.
Par les nuits sans lune, la cuisine désertée n’était plus qu’un trou noir, inquiétant pour les enfants de la maison. La «strube» devenait alors le coin merveilleux où chacun, son labeur achevé, venait prendre place.
Etroite et longue, cette pièce avait pour tous meubles une longue table, des bancs et quelques chaises, une porte-fenêtre à l’un des bouts qui s’ouvrait sur le jardin, à l’autre bout, dans un coin, sur une sorte de petit socle de maçonnerie, un petit poêle en fonte qui «ronflait» allègrement.
Chacun s’installait de son mieux pour son travail du soir, car toutes les femmes de la maison se mettaient au même travail: la vérification des bas de laine. Et il y en avait des bas de laine, un ou deux sacs se vidaient chaque hiver de leur contenu, car durant la bonne saison nulle n’avait le temps de repriser ou de refaire des pieds de bas. Toutes les femmes de la maison étaient dans les bas, on pourrait dire, jusqu’au cou, toutes assemblées autour de la table et nous, les enfants, jouant dans un coin, laissions couler les heures dans la paix souveraine de ces hivers du temps passé, où vivre était encore écouter couler les heures.
Les hommes ne faisaient rien; ils fumaient béatement, et la fumée se mêlait à la poussière de la laine défaite et à l’odeur du sucre brûlé qui s’élevait des pommes qui rissolaient sur la plaque mise sur le fourneau.
Au début de la veillée chacun discutait de tout et de rien; puis venait un moment de silence. Soudain quelqu’un prenait la parole et les histoires du temps jadis emplissaient la nuit de leur mystère, de leur tragédie ou de leur facétie et nous, les enfants, nous passions tour à tour de l’émerveillement à la peur, pour finir dans des rires sans raison, car nous ne comprenions rien à la finesse de certaines histoires, mais nous étions heureux de rire avec les grands, après avoir tremblé aux histoires de follatons, de feux-follets, de revenants et autres mystères.
Parfois, des coups sourds se faisaient entendre: un des hommes se levait en disant: «Tiens, voilà quelqu’un!». Il ouvrait la porte donnant sur la cuisine et semblait disparaître dans un trou noir d’où le froid nous venait, puis ouvrait le dessus de la lourde porte d’entrée, puis la porte tout entière et nos cœurs d’enfants battaient la chamade jusqu’à ce que la voix du visiteur nous eut rassurés par son timbre connu. La veillée simplement reprenait son cours, puis une des veilleuses se levait à son tour, posait son ouvrage pour disparaître dans la cuisine.
Un bruit de bois menu qu’on casse, suivi du pétillement d’une flambée, nous parvenait alors et, quelques instants après, Maria revenait vers nous, précédée par l’odeur délicieuse du cidre doux ou vin chaud tout aromatisé de cannelle. Et, sous la vieille lampe à pétrole, passait de l’un à l’autre une bolée fumante et savoureuse. Nous, les enfants, nous attendions notre tour, la fin du pot, plus sucrée, où flottaient de menues brindilles de cannelle que nous sucions avec délice.
Puis, chacun allumant une bougie et, cruche ou carron chaud sous le bras, s’envolait vers sa chambre, faisant craquer l’escalier de bois qui montait à l’étage et s’allonger les ombres le long du couloir.
Certains soirs, aucun souvenir ne me restait de cette fin de veillée: je me retrouvais dans mon lit sans savoir qui m’y avait mis. Plus tard, j’ai compris que ces soirs-là étaient pour les veilleurs comme une petite fête dont les enfants étaient exclus.
Lorsque je me remémore ces soirées d’hiver dans la chaude compagnie et la douce intimité de tant d’êtres chers à mon cœur, un doux émoi monte de mes souvenirs où tout était si simple, calme, amical, où l’on prenait le temps de vivre paisiblement.
Aujourd’hui la veillée se termine par «les dernières nouvelles» et, mieux que des histoires de follatons, elles viennent hanter nos nuits de «gens très modernes» et la poésie de la «maison» a tout à y perdre.
A.C.